Eaux brunes et nauséabondes
Pour épargner le cœur stratégique de cette ville tentaculaire d'une inondation record, les quartiers périphériques baignent dans des eaux brunes et nauséabondes. Et l'ambiance dégénère le long des murs de protection. Les accrochages entre forces de sécurité et habitants en colère se multiplient. À Sai Mai, au nord, un homme s'est lancé avec une masse à l'assaut d'une barrière de sacs de sable en hurlant: «Pourquoi vous n'auriez pas un peu d'eau dans vos maisons, vous aussi.» À l'écluse de Klong Sam Wa, au nord-est, des riverains armés de marteaux et de pioches ont ouvert une brèche car ils étaient excédés que les vannes ne laissent passer qu'un filet d'eau alors qu'ils barbotent depuis plusieurs semaines.
À Don Muang, le quartier du second aéroport, le premier ministre Yingluck Shinawatra a été chahuté. Et une équipe municipale chargée de renforcer un mur anti-inondations a même essuyé plusieurs coups de feu.
Malgré des déclarations contradictoires, le gouvernement thaïlandais n'a cessé de se focaliser sur la protection du centre de Bangkok. «Si nous laissons les barrières s'écrouler et les écluses céder, l'eau va s'engouffrer dans le centre-ville, les étrangers perdront confiance en nous et se demanderont pourquoi nous n'avons pas pu sauver notre propre capitale», a récemment déclaré le premier ministre. Cinquante mille soldats ont été déployés pour surveiller le dispositif de protection.
Tous les habitants qui se trouvent du mauvais côté des digues sont aujourd'hui amers. Empilés dans l'urgence, les sacs retiennent une gigantesque poche d'eau putride et freinent son évacuation vers le golfe de Thaïlande. Le chef du gouvernement ne les a pas rassurés en admettant hier que les quartiers à l'ouest du fleuve Chao Phraya, noyés sous un mètre d'eau, seraient peut-être les derniers à retrouver une vie normale. Il ne faut pas parler du sens du sacrifice à Thanawan Sukjai, une ouvrière de Sam Wa: «Dans les quartiers financiers et des affaires de Silom, Sathorn et Sukhumvit, ils n'ont pas l'air très troublé par le drame que nous vivons. Moi, je ne souhaite qu'une chose, c'est que la digue rompe et que cette eau parte.»
Les brèches du désespoir
L'atmosphère est explosive, raconte-t-elle. «Des voisins disent: pourquoi ma maison est inondée et pas la tienne et ils en viennent aux mains.» La semaine dernière, les pistes de Don Muang ont été complètement submergées après que le mur de sacs de sable qui faisait rempart a mystérieusement lâché.
Ces brèches faites par désespoir «mettent tout Bangkok en danger», estime le vice-gouverneur de Bangkok, Thirachon Manomaipiboon.
Alimentées par des pluies de mousson d'une densité inhabituelle et une série de tempêtes tropicales, les inondations qui ravagent la Thaïlande depuis juillet ont fait 427 morts. En forte hausse, le bilan risque de s'alourdir encore: dans les quartiers périphériques de Bangkok, aux ruelles étroites, l'eau stagne dans les cuisines, les fils électriques pendouillent un peu partout, «l'électrocution pourrait devenir une cause majeure de décès», s'inquiète Porntep Siriwanarangsun, responsable du ministère de la Santé.

Florence Compain
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